Par un professeur de français du lycée
Longtemps ils se sont couchés de bonne heure... Jusqu'à leur arrivée au 123, rue Saint-Jacques, où leurs nuits blanchirent au fur et à mesure des années, où le travail devint nécessaire, où ils apprirent à cultiver leur jardin (certes les champs déjà familiers des mathématiques et de la physique, mais aussi…le domaine enchanté de la littérature).
Savent-ils, ces jeunes néophytes qui font leurs premiers pas dans la vie lycéenne et leur entrée à Louis-le-Grand, savent-ils que non seulement ils marchent - encore timidement - sur les traces de quelques prix Nobel de Physique ou de Chimie, de quelques grands mathématiciens, mais surtout sur celles d’autres grands hommes dont ils ne connaissent parfois que le nom ? Molière, Voltaire, Hugo, Baudelaire, Senghor, pour ne citer que les plus illustres...
Ces très anciens élèves, moins morts parfois que bien des vivants, deviendront vite leurs amis, parfois leurs maîtres, au-delà des siècles qui les séparent, témoignant encore aujourd’hui du vivier littéraire que fut dès l’origine Louis-le-Grand.
La seconde, une année de grâce pour les élèves comme pour les professeurs de français...
La beauté des commencements et l'absence d'examen final en font un temps précieux, très fructueux, consacré à la découverte des grands auteurs (poètes, romanciers, dramaturges, principalement ceux du XIXe et du XXe siècle), à l'étude des différents registres, styles et genres littéraires (en priorité le roman), enfin au plaisir de lire et d'écrire, pendant les heures de cours hebdomadaires en classe entière.
L'heure bimensuelle en demi-groupe ("module" souvent réservé aux exercices) favorise le dialogue, tandis que les élèves en difficulté peuvent aussi bénéficier d'une "aide individualisée" une fois par semaine. C'est dans l'ensemble avec ardeur, bonheur, et parfois émerveillement qu'ils "entrent en Littérature"...
Les secondes sont d'autre part initiés en douceur aux méthodes correspondant aux trois sujets qui leur seront proposés l'année suivante, lors du baccalauréat de français:
- le commentaire composé (une explication de texte structurée),
- la dissertation (une réflexion organisée sur un sujet littéraire),
- l'écrit d'invention (la rédaction d'un texte plus personnel : article, lettre, discours...).
Loin de n'être que des épreuves permettant d'évaluer les capacités littéraires des candidats, ces différents types d'exercices pratiqués dès la Seconde permettent à l'élève d'affiner sa sensibilité, d'approfondir la lecture des textes, de développer son esprit critique, d'apprendre à réfléchir par lui-même, tout en étant capable de justifier sa pensée.
C'est bien dans cette perspective profondément humaniste de faire grandir l'homme en chacun des élèves qui nous sont confiés, qu'est prodigué l'enseignement du français. Pas de programme fixe, mais un désir commun à tous les professeurs d'éveiller leur intérêt et leur goût pour la littérature et l'art, pour la réflexion juste, et le dialogue fécond.
En première, l'Epreuve Anticipée de Français
A ces enjeux essentiels s'ajoute, en classe de première celui de l'E.A.F., nom donné aujourd'hui au "bac de français".
Objet de réformes successives ces dernières années, il oblige les élèves à assimiler en un an un programme très lourd: cinq objets d'étude doivent être approfondis à travers l'analyse d'œuvres complètes et d'extraits laissés au libre choix de chaque professeur. Soit:
- un mouvement littéraire français et européen du XVIe, XVIIe ou XVIIIe siècle,
- une pièce de théâtre (texte et représentation),
- une œuvre et un groupement de textes appartenant au genre biographique,
- une œuvre poétique (recueil ou groupement de quelques poèmes).
Dans le cadre de ce programme assez souple mais très ambitieux, les élèves étudieront une trentaine de textes pendant l’année, ceux-là même qu’ils présenteront le jour de l’oral. Cette épreuve orale (coefficient 2, en L et S, 1 en STI2D), se compose d’une explication de texte, bâtie à partir d’une question posée par l’examinateur sur l’un des textes préparés pendant l’année, suivie d’un entretien plus informel concernant les autres lectures ou travaux effectués par le candidat, qui figurent aussi sur la liste présentée à l’examinateur. Chacune des deux parties, d’une durée de 10 minutes, est évaluée sur 10 points.
Quant à l'épreuve écrite (coefficient 3 en L, et 2 en S et STI2D), elle dure 4 heures, et porte sur l’un des objets d’étude cités précédemment (excepté le mouvement littéraire) : à partir d’un corpus de quatre ou cinq textes joints au sujet, les candidats doivent d’abord répondre à une question (sur 4 points) les obligeant à comparer ces extraits souvent réunis autour d’une thématique commune, puis traiter l’un des sujets (au choix sur 16 points) décrits ci-dessus, tous en lien avec l’objet d’étude illustré par le corpus : commentaire composé, dissertation ou écrit d’invention.
Or, les heures de « modules » et d’« aide individualisée » sont supprimées après la Seconde, et les quatre heures d’enseignement qui subsistent en première S sont tout juste suffisantes pour préparer les élèves efficacement à l’écrit comme à l’oral, et ce, quelle que soit la progression suivie par chacun des professeurs.
Quant aux premières L, ils doivent, littérature oblige, travailler deux objets d'étude supplémentaires (l'épistolaire et les réécritures), et bénéficient pour cela de heures de français de plus.
Ce programme gargantuesque, imposé tant aux élèves qu’aux professeurs, exige donc un investissement personnel des lycéens dès le début de la seconde, afin qu’ils puissent acquérir peu à peu ces méthodes permettant d’approfondir efficacement l’analyse de tout texte ou de tout sujet littéraire.
Ainsi, ceux qui par mauvais calcul, paresse ou inconscience, ne se mettent sérieusement au travail que quelques mois avant l’examen, se heurtent très vite et trop tard à l’impossible défi de combler des lacunes accumulées depuis l’année précédente, voire depuis plus longtemps. Le baccalauréat de français se prépare en deux ans!
D'autre part, l'approche méthodique des textes nécessite d'excellentes connaissances en grammaire, et là encore, certains élèves se révèlent handicapés par de trop importantes faiblesses dans ce domaine. De fait, l'enseignement du français au lycée se situe dans le prolongement du collège, du travail en séquence sur la langue et les discours. Il s’agit toujours d’améliorer son français, c’est-à-dire ses capacités de lecture, d’écriture, de communication orale, et surtout d’accéder à la culture par les œuvres.
En terminale L, approfondissement des textes et préparations à l'épreuve de littérature du bac
En terminale S, le cours de français disparaît (au grand désespoir de certains, au grand soulagement de quelques autres !). Les élèves sont alors lestés, du moins nous l’espérons, d’un solide bagage culturel pour aborder avec curiosité, et souvent enthousiasme, la philosophie.
Bien que l’approche des sujets et des textes soit évidemment tout à fait autre, c’est bien le même effort d’analyse personnelle et de mise en forme de la réflexion qui est alors exigé du lycéen. A travers les grands textes de notre littérature, les élèves ont déjà rencontré une pensée à l’œuvre, toujours en quête de liberté et d’une plus grande vérité sur ce qui fonde notre humanité : l’Amour, la Mort, le Beau, la Mémoire, le Rapport à l’Autre, à Soi-même, à la Nature, …
En se familiarisant avec l’histoire littéraire, ils ont pris conscience du fait qu’aucune œuvre, fût-elle la plus avant-gardiste, ne s’écrivait, ne se créait, à partir de rien, et que les écrivains les plus novateurs étaient sans nul doute ceux qui possédaient la culture la plus étendue, la mieux digérée au sens où l’entendait Montaigne :
Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thym ni marjolaine : ainsi les pièces empruntées d’autrui, il [l’élève] les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement. Son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former.
Rompre, pour mieux la goûter, l’écorce de chaque texte avant d’en extraire la substantifique moelle… C’est à ce type de lecture, simultanément savoureuse, nourricière, et féconde, que le professeur de français entend initier ses élèves.
Aux seuls terminales L est réservée la joie d’approfondir quatre œuvres (fixées par un programme renouvelé à moitié tous les ans) en vue de l’examen de littérature, épreuve pour eux obligatoire du baccalauréat général (coefficient 4). Répondre à deux questions ardues en deux heures sur l’une de ces œuvres, tel est le défi lancé à cette classe au profil souvent original, à ces élèves chez qui la littérature est déjà une vocation.
La conférence récente d’un professeur du lycée, sur les débouchés qu’offrent actuellement les cursus littéraires, a montré à quel point ces anciens étudiants, venus témoigner de leurs parcours souvent très divers, ont su tirer profit de la formation humaniste reçue à Louis-le-Grand. Saluons par ailleurs le travail et le talent de ces nombreux lycéens qui, acteurs ou metteurs en scène dans plusieurs groupes de théâtre au sein de l’établissement, produisent en fin d’année des spectacles d’une qualité remarquable, et font ainsi, à leur manière, vivre le français à Louis-le-Grand.
Enfin, il nous semble qu’au-delà de cette dichotomie si réductrice opposant les Sciences et les Lettres, un même appétit de savoir, une seule et même soif de vérité, réunit et dynamise - toutes disciplines confondues - professeurs et élèves des filières S ou L.
Proust compte sans doute parmi ceux qui ont le plus heureusement défini et poursuivi cette quête, humble et grandiose, de l’esprit créateur en marche vers la lumière :
Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher, et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore, et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.